De Ducasse à Alléno, Monaco a attiré des générations de chefs étoilés, mais a également su en créer……
Par Milena Radoman
Artichaut épineux alla giudea et ortie brûlée, anémone de mer poêlée, caviar Kristal : un plat « terre-mer » du jeune chef Emmanuel Pilon, à qui Alain Ducasse a confié les rênes du Louis XV. © Matteo Carassale
Marcel Ravin, chef étoilé du Blue Bay et locavore convaincu, a mis à sa carte des Endives citrus et huîtres perles de Monaco au kiwi.© Marion Butet

Marcel Ravin, chef étoilé du Blue Bay et locavore convaincu, a mis à sa carte des Endives citrus et huîtres perles de Monaco au kiwi.© Marion Butet
De Ducasse à Alléno, Monaco a attiré des générations de chefs étoilés, mais a également su en créer……
« Ici, nous devons donner du rêve, des plaisirs et de la beauté », ambitionnait François Blanc avec la création de la Société des Bains de Mer et du Monte-Carlo. Ces plaisirs passant inévitablement par ceux du palais, l’homme d’affaires visionnaire a fait venir un premier chef de Hombourg dès 1875. Embauché par César Ritz, alors directeur du Grand Hôtel, Auguste Escoffier y prend également ses quartiers durant l’hiver à partir de 1884. Il y inventa notamment la Timbale de filets de sole Grimaldi, la Poularde ou encore les Fraises Monte-Carlo… Mais c’est l’arrivée de Ducasse et la création du Louis XV à l’Hôtel de Paris Monte-Carlo, un siècle plus tard, qui permettent à la Principauté de s’inscrire durablement sur la carte planétaire de la gastronomie ! « ll y a aujourd’hui environ 170 restaurants, dont six peuvent se vanter de posséder neuf étoiles Michelin. Une prouesse culinaire pour un pays de 2 km2. La destination est au même rang que Dubaï, Londres ou New York ! », résume Takeo Yamazaki, chef du Yoshi, seul restaurant japonais étoilé de la région.
La dynamique Ducasse
En 1987, Alain Ducasse n’a que 33 ans lorsqu’il décroche trois étoiles Michelin en un temps record. Le Louis XV, avec son concept de la Naturalité, devient ainsi le premier restaurant de palace au monde à obtenir la récompense suprême et une base arrière pour Ducasse dans sa conquête du monde… « Le Louis XV, c’est mon ADN, mon disque dur », a souvent répété le chef multi-étoilé, venu en principauté grâce à un coup de génie du Prince Rainier et de l’homme d’affaires Michel Pastor. Après avoir confié les fourneaux à Franck Cerutti durant de nombreuses années, il y a adoubé de fidèles lieutenants, séduits par le défi de répondre à « une clientèle amatrice de gastronomie et exigeante, habituée à fréquenter les plus grandes tables », explique Dominique Lory, venu de Paris sur les conseils du maître.
En tant que chef exécutif de l’Hôtel de Paris, l’ancien chef du Louis XV est désormais aux manettes du Grill, un restaurant étoilé situé au 8e étage du palace, célèbre pour son toit ouvrant, sa vue panoramique comme pour ses soufflés. Dans cette adresse mythique où la grillade est reine, le chef Lory s’amuse à ajouter à la carte des légumes grillés et des jus végétaux, à « proposer des plats avec des aspérités, chaque bouchée devant appeler une évolution ». Pour Dominique Lory, qui supervise tout ce qui sort des cuisines du palace, du room service au Bar américain, rester dans l’élite de la gastronomie implique d’innover constamment, de casser les codes. « Il faut toujours surprendre, changer la carte régulièrement… Il n’y a rien de pire que d’avoir un restaurant qui se transforme en musée, à la carte statique », observe le chef étoilé, qui conserve jalousement dans son bureau la plaque où est gravée dans l’inox la présence du grand Escoffier dans la cuisine de la salle Empire.
Les défenseurs d’une cuisine méditerranéenne, « gorgée de soleiL »
Dans les palaces de la SBM, on multiplie les étoiles. Notamment au Vistamar de Joël Garault devenu depuis Le Pavyllon Monte-Carlo de Yannick Alléno, (lui aussi) appelé par Ducasse qui « pensait que plutôt que d’avoir en face un concurrent, il valait mieux l’avoir à nos côtés ». Qu’est-ce qui a attiré le pilote-concepteur du Pavyllon Ledoyen Paris ? « La qualité des produits et le vivier local sont un réel plaisir pour les chefs qui en font leur terrain de jeu. À Pavyllon Monte-Carlo, notre poisson est frais, pêché en circuit court avec des méthodes de pêche durable. Monaco peut se targuer d’une scène gastronomique qui puise dans un terroir environnant riche et foisonnant », juge le chef aux trois macarons qui montre son savoir-faire dans le festival des étoilés, durant lequel les chefs étoilés du resort organisent des dîners à quatre mains.
Au Monte-Carlo Bay hotel & Resort, Marcel Ravin, chef du restaurant Le Blue Bay auréolé aujourd’hui par 2 étoiles, a lui imposé sa « cuisine créole culturelle, identitaire ». « Je ne suis parti de rien ici », souffle le chef précurseur du mouvement locavore, qui cultive un jardin potager pour faire pousser ses patates douces aussi bien que son curcuma. Et qui compte bien apporter davantage de surprises dès le printemps dans son restaurant rénové, avec des alcôves dédiées à la créativité… « La Principauté se veut actrice de la gastronomie actuelle et de demain », analyse un autre bébé Ducasse, l’actuel chef du Louis XV Emmanuel Pilon, citant le Sommet de la Gastronomie durable organisé au mois de septembre dernier par Alain Ducasse et la Fondation Prince Albert II.
Franck Cerutti a travaillé plus de 30 ans avec Alain Ducasse.©ducasseparis
Yannick Alléno bouscule les codes avec sa « gastronomie de comptoir ». Ici, un Feuille à feuille de bœuf Wagyu, aux champignons de Paris.
Dominique Lory, chef exécutif de l’Hôtel de Paris Monte-Carlo, est en charge du Grill, restaurant mythique qui sublime la cuisson au feu de bois.Photos © MONTE-CARLO Société des Bains de Mer

Dominique Lory, chef exécutif de l’Hôtel de Paris Monte-Carlo, est en charge du Grill, restaurant mythique qui sublime la cuisson au feu de bois.Photos © MONTE-CARLO Société des Bains de Mer
Un tandem de géants de la cuisine
Impossible d’oublier que Monaco a également su attirer Joël Robuchon de l’autre côté de la place du Casino. Au Métropole, l’inventeur de la gelée de caviar au chou-fleur a créé une table élégante aux 2 étoiles pilotée par son bras droit Christophe Cussac, ainsi que le Yoshi, restaurant japonais auréolé d’une étoile depuis 2010. Après le décès de Robuchon, Christophe Cussac a ouvert Les Ambassadeurs, avec qui il compte bien vite renouer avec les macarons Michelin. La Table d’Antonio Salvatore au Rampoldi, qui propose une cuisine italienne contemporaine, immersive et étonnante, a été couronnée, cinq mois seulement après son ouverture, par le célèbre guide en 2021. Pour le chef : « La concurrence est élevée. Monaco possède le meilleur que le monde offre. Nous voulons seulement le meilleur dans tous nos restaurants en donnant de l’émotion. Pour moi, la cuisine est un art comme la musique ou la peinture ». Antonio Salvatore, qui a repris avec brio en 2016 les rênes de l’institution monégasque ouverte en 1946, vient d’inaugurer sa troisième adresse new-yorkaise avec Rampoldi New York : entre innovation, tradition et glamour made in Monaco.
© Matthieu Cellard
© Matthieu Cellard Christophe Cussac, chef des cuisines de l’Hôtel Métropole Monte-Carlo, fait revivre Les Ambassadeurs, restaurant emblématique des Années 20, avec sa cuisine méditerranéenne inventive et millimitrée. Une de ses entrées : Le Caviar et l’œuf bio, enchâssé dans sa fleur de courgette.
Le Riso in primatera, une recette italienne d’Antonio Salvatore, chef du Rampoldi à Monaco et… New York.
© Kokostudio
