Photographie Jean-Michel Sordello
Né à Nice, il a créé en 1999 au Centre Hospitalier Princesse Grace avec le Pr Dujardin le service d’onco-hématologie qu’il dirige aujourd’hui. Focus sur plus de 30 ans de cancérologie.
Ancien interne et chef de clinique des hôpitaux de Nice, exerçant désormais à Monaco, vous avez dédié votre carrière à la lutte contre le cancer. Quelles en ont été pour vous les évolutions notables ?
« Lorsque j’ai commencé, nous étions plutôt démunis et j’ai vu au fil des ans des progrès considérables dans trois domaines principaux. Il y a d’abord les avancées technologiques en matière d’imagerie. Il y a aussi la biologie, à travers les découvertes des scientifiques pour mieux comprendre la cancérogénèse. En matière de traitements enfin, on utilise de moins en moins la chimiothérapie. Pour un cancer du poumon que l’on ne peut pas opérer par exemple, on va prélever un fragment de la tumeur pour en faire une biopsie, sachant que nous avons des laboratoires d’analyses médicales de pointe dans la région. À partir de ces résultats, on pourra opter pour une chimiothérapie, une immunothérapie, un couplage des deux ou une thérapie ciblée avec des comprimés. Certaines cellules tumorales ont en effet des mutations qui sont spécifiquement ciblées par ces médicaments. »
Qu’en est-il dans votre spécialité, l’hématologie ?
« L’apparition récente des Car-T cells est une vraie révolution pour les patients en impasse de traitement, dont le pronostic à court terme est engagé, et permet à certains d’entre eux de guérir. Cette stratégie est pour l’instant adaptée à certaines leucémies et lymphomes, mais va sûrement concerner plus de personnes prochainement. Elle va entrer en concurrence avec les greffes de cellules souches, traitement jusqu’à présent réputé le plus efficace dans ces maladies au pronostic redoutable. Ce sont désormais les lymphocytes T du patient lui-même qui, grâce à une modification génétique in vitro, reconnaissent spécifiquement les cellules tumorales, notamment leucémiques, et entraînent leur destruction. L’immunothérapie, qui consiste à combattre le cancer grâce à l’immunité, est plus généralement l’une des révolutions majeures qui touche presque tous les domaines de la cancérologie. Alors que l’espérance de vie avec une maladie métastatique pouvait être auparavant de six mois, nous avons ainsi aujourd’hui des patients qui sont en rémission depuis plus de cinq ans ! »
Le CHPG a-t-il développé certains types de soins plus particulièrement ?
« Eh bien si le meilleur traitement face au cancer reste la chirurgie, nous avons aujourd’hui beaucoup d’alternatives à l’intervention classique. Je pense notamment à la radiologie interventionnelle, permise grâce aux progrès numériques de l’imagerie. Pour le diagnostic, on peut faire une biopsie scanno-guidée de tumeur. Sur le plan thérapeutique, on fait appel à la radiofréquence, aux ultrasons ou à la cryothérapie. Pour une petite tumeur du rein, cette dernière permet de détruire des cellules cancéreuses par le biais d’aiguilles refroidies. On se sert également de l’imagerie en vertébroplastie pour les fractures de vertèbres atteintes par le cancer. Ce sont des techniques moins invasives. »
Avez-vous une dernière chose à ajouter sur le développement de l’oncologie aujourd’hui ?
« Oh que oui ! Je pense que si nous avons acquis des connaissances techniques essentielles pour la prise en charge du patient, nous avons du coup moins de temps pour le reste. Lorsque l’on parle avec les médecins, infirmières et aides-soignantes, le constat est le même : le temps relationnel au lit du patient a fondu comme neige au soleil. De nouveaux métiers se sont créés, comme les soins supportifs et palliatifs, mais nous sommes débordés d’obligations administratives. Il faut donc faire très attention à ce que les progrès techniques ne se fassent pas au détriment de la relation, donc de l’humain. »
Par Eve Chatelet