juillet 2016

Bernar Venet

  • Un art autonome
 
 Bernar Venet 29

 Bernar Venet dans son Effondrement d'arcs de 200 tonnes d'acier, à l'entrée de sa Fondation, au Muy.

Ses sculptures monumentales s’élèvent de New York à Séoul, en passant par le Jardin Albert Ier à Nice. Zoom sur un artiste français majeur, dont les réalisations sont avant tout des concepts.

 

Occupé, Bernar Venet l’est résolument. Il fait cet été l’objet d’expositions à Dubaï, Madrid, Paris, New York et à Mouans-Sartoux. Sans compter les six livres qui sortent actuellement sur son œuvre. « Toute mon activité a été de lutter contre les influences », précise cet artiste sans concession, qui a tronqué le « d » de son prénom pour faire écho à la radicalité de sa démarche. Si ses sculptures sont comme des signaux indépendants dans l’espace urbain, il a travaillé bien d’autres matières avant l’acier. Peinture, performances, musique et poésie font partie de son champ d’expérimentation décloisonné. L’exposition présentée à l’Espace de l’Art Concret jusqu’au 13 novembre revient sur ses origines, de 1961 à son installation à New York dès 1966. Durant cette période, il crée des Cartons reliefs, réunis pour la première fois ici dans un si grand ensemble. Il pose alors ses fondamentaux.

 

Le choc d’une coulée de goudron
Né en 1941 dans la cité ouvrière de Saint-Auban, Bernar Venet arrive dans la capitale azuréenne à 17 ans. Après un passage remarqué à la Villa Thiole, il débute comme assistant décorateur à l’Opéra de Nice. Et c’est en 1961 qu’il part pour l’armée. Là, il voit une coulée de goudron sur les parois d’une carrière à Carpiagne. « J’ai été marqué par ce phénomène naturel, où la gravité donne la forme, et par cette matière très riche », s’émeut l’artiste. Exempt d’armes et de corvée, il a alors une opportunité formidable. Un atelier de 800 m2 est mis à sa disposition, où il passe son temps à créer. Il poursuit : « Je me tenais in­formé des dévelop­pements de Raus­chen­berg aux États-Unis, l’un des précurseurs du Pop’Art, et des Nouveaux Réalistes en France. Mais j’étais beaucoup plus jeune qu’eux et il n’était pas question que je m’accroche à leurs wagons. » Pratiquant un art abstrait dur, Venet n’est pas dans la séduction. Il fait naître des œuvres sur de vieux cartons, souillés par des coulées de goudron étalées avec le pied. Il y a dans ce geste une spontanéité non contrôlée. Il réalise une performance dans des détritus et enregistre le roulement d’une brouette dans la cour de sa caserne.

 

Une pratique détachée de l’objet
En 1963, retour à Nice où il s’installe au 18 de la rue Pairolière. Des temps difficiles pour lui, même s’il a la chance d’y fréquenter Arman. « Je lui donnais un coup de main. Je n’avais alors que 22 ans et j’étais flatté car il était déjà au top niveau, poursuit l’artiste. Il y avait aussi Yves Klein, qui ne se voyait pas comme peintre et parlait toujours du dépassement de la problématique de l’art ». Venet intègre très vite cette possibilité d’explorer différentes disciplines pour exprimer une même nature de travail. S’il entretient des liens d’amitié avec les Nouveaux Réalistes, il ne s’identifie pas à leurs assemblages et accumulations d’objets du quotidien. Et jusqu’ici, il restait un champ qu’il n’avait jamais encore exploré : la sculpture. « En me promenant avenue de Verdun, je suis tombé sur un tas de gravier mêlé à du goudron, ajoute-t-il. Je venais de quitter le plat de la toile et j’ai vu là mon travail en 3D. » Il imagine alors une œuvre avec des bouts de charbon, qu’il débarrasse une fois l’exposition terminée. Cette installation n’a pas une forme anthropologique ou un volume qu’on lui aurait imposé, c’est un tas, soumis à la gravité. Un concept qui a une vie en soi, un résultat éphémère libéré de tout fétichisme, reproductible par quiconque.

 

L’aléatoire et les mathématiques
Cette distance vis-à-vis de l’œuvre et sa réalisation est omniprésente dans le travail de Venet. Elle interpelle le visiteur dès l’arrivée à sa Fondation au Muy, où il a placé un gigantesque effondrement de barres à l’entrée. Un lieu qui fait écho à sa Fondation à New York, où il expose depuis sept ans ses œuvres ainsi que sa collection. « Je dois tout aux États-Unis. Ce n’est pas la France qui m’a aidé car à l’époque aucune galerie ne voulait m’exposer », se rappelle l’artiste. Si Bernar Venet ne s’est pas reconnu dans le minimalisme, revenu à des formes simples mais restées globalement géométriques, son œuvre a été classée a posteriori dans l’art conceptuel. Très ami avec Gottfried Honegger, à l’origine de l’Espace de l’Art concret, il s’est aussi démarqué de cette tendance au retour à la ligne, la couleur et la surface. Il ajoute : « Mon art était plus concret si l’on peut dire que celui d’Honegger. Sans artifice, je versais le goudron comme je montrais le charbon. » Arrivé à une telle radicalité, il cessera alors toute activité de 1971 à 1976. Son art renaîtra avec ses Lignes indéterminées, ses Angles aigus et ses Arcs, qui le conduiront à des créations de plus en plus monumentales.

 

Espace de l'Art Concret, Château de Mouans 

Mouans-Sartoux

Tél. : 04 93 75 71 50.
www.espacedelartconcret.fr

 

Par Tanja Stojanov - Portrait : Sophie Boulet