avril 2016

Quentin Derouet

  • En rose majeur
 
 portrait derouet
 

Si cet artiste utilise des roses pour concevoir ses toiles, cette fleur n’est pas la finalité de son œuvre. Juste un médium destiné à nous livrer sa vision de la société.

 

Diplômé de la Villa Arson avec les félicitations et prix de la Ville de Nice en 2012, Quentin Derouet est un jeune artiste de 27 ans qui utilise la rose pour réaliser des œuvres, des dessins, des peintures, ou encore des installations. Il vient d’être exposé à la galerie niçoise Helenbeck. Un travail présenté sous le titre « Les larmes d’Éros ».

 

Un trait de rose.
En 2012, j’ai gagné le prix de la Ville de Nice en réalisant un trait sur le mur avec un bouquet de roses. Un geste radical, désinvolte, léger et empreint de poésie. C’est la première fois que j’utilisais cet instrument mais cela n’était pas par hasard. La fleur – et notamment celle-ci – avait juste avant été au centre d’une œuvre. J’avais invité un groupe de personnes à venir saccager mon lieu d’exposition avec des fleurs. Le résultat était très beau...

 

À la recherche de LA fleur
Deux ans plus tard, j’ai participé avec l’artiste Fabrice Hyber (programme Les réalisateurs) à un projet d’éla­bo­ration d’une nouvelle variété, en collaboration avec Meilland, célèbre société fran­çaise de création et production de roses. Son unique caractéristique devait être de laisser la plus belle trace quand on l’écrasait sur un support. Pour cela, j’ai testé plus de 500 roses Meilland créées ces 50 dernières années. Celles qui étaient les plus chargées en pigment ont été sélectionnées pour des hybridations. Nous verrons le résultat cette année ou l’année prochaine.

 

Un symbole magnifique... et ridicule !
Je n’ai jamais rencontré d’éléments aussi porteurs de symboles et qui touche à la fois au sublime et à la caricature. Elle concentre tout ce qu’il y a de plus beau et tout ce qu’il y a de plus mauvais dans l’homme. Elle a été le symbole du fascisme mais aussi celui de la résistance. Elle a inspiré de grandes poésies et devient l’objet kitschissime par excellence le jour de la Saint-Valentin avec ce côté mielleux.

 

L’œuvre au rouge
Au-delà du symbole, je m’intéresse aussi à sa matérialité brute. Je prends un rose, je l’écrase et il y a peinture. On pense alors à un questionnement qui englobe l’histoire de l’art, de la peinture rupestre, où l’on utilisait les doigts pour peindre, à la Renaissance, où il y a eu cette quête quasi alchimique pour trouver le pigment parfait. L’idée de me pencher sur les couleurs m’amuse mais sans que je cherche à devenir un virtuose scientifique. Je trouve qu’il y a une certaine poésie dans ce geste primordial qui est de brûler une rose pour avoir du noir ou d’en laisser pourrir une autre pour obtenir du marron.

 

Du rouge au violet
Lorsqu’on écrase une rose rouge fraîche sur un support, on obtient un nuancier violet. C’est étonnant. Je n’aime pas le violet. Mais cette teinte s’impose à moi. En fait, c’est l’outil qui va presque créer l’œuvre. J’ai toujours cette idée que tout est là et que je n’ai pas beaucoup de décisions
à prendre si ce n’est de laisser aller les choses par rapport à une pensée.

 

D’Éros à Thanatos, pulsion de vie et pulsion de mort
Ma rencontre avec ce violet n’est pas non plus le fruit du hasard. Sa symbolique correspond à des questionnements dans mon travail où la mélancolie est très présente. Tout comme le rapport au sacré et surtout à la mort et à l’érotisme. Ces pulsions de vie et de mort m’habitent complè­tement et donnent du sens à cette vie. C’est pour cela que j’ai intitulé la série que j’ai créée dans le cadre de mon exposition à la galerie Helenbeck à Nice « Les larmes d’Éros. ». C’est un hommage au dernier livre de Georges Bataille dans lequel il résume sa pensée située entre la mort et l’érotisme. Érotisme... Éros, anagramme de rose...

 

Critique sociétale
Avec le temps mon travail s’est radicalisé à travers un style plus clair. Aujourd’hui, on peut me reconnaître dans le cadre d’une exposition collective. Mais je ne veux pas être assimilé à l’artiste de la rose. Je ne peins pas avec des roses. Je peins, tout simplement. Le fait d’utiliser cette fleur n’est qu’un prétexte qui va me permettre – en l’intellectualisant à l’extrême, c’est-à-dire en la déchargeant de la puissance symbolique que crée la société par son utilisation comme matière brute – d’ouvrir de nouveaux espaces et d’offrir un regard critique sur la société qui nous entoure.

 

Porté par les pigments révélés par les roses avec lesquelles il compose ses toiles, Quentin Derouet explore des questions universelles sur la vie, la mort, l'érotisme...

1) Vue de l'exposition « Les larmes d'Éros », à la Galerie Helenbeck, à Nice.
2) Les larmes d'Éros (11), 2015. Rose, rose brûlée, rose macérée sur toile 97 x 130 cm.
3) Betty, 2015. Impression encre et rose sur papier, 21 x 28 cm.
4) Les larmes d'Éros (03), 2015. Rose sur toile, 150 x 200 cm.
5) Les larmes d'Éros (05), 2015. Rose, huile, acrylique, rose brûlée sur toile. 200 x 200 cm.

 

Par Alexandre Benoist